Histoire de Bordeaux : en 2024, près de 6 millions de visiteurs ont arpenté les quais classés à l’UNESCO, soit +12 % par rapport à 2023. Derrière cette attractivité record se cache un récit millénaire où commerce, politique et culture s’entremêlent. Voici le décryptage d’une ville qui, depuis deux mille ans, n’a cessé de se réinventer sans perdre son âme.
Des fondations romaines à l’âge d’or du vin
Burdigala, fondée vers 56 av. J.-C. par les Romains, bénéficie d’un emplacement stratégique sur la Garonne. En attestent les vestiges du Palais Gallien, dernier amphithéâtre antique de la région. Dès le IIIᵉ siècle, la vigne s’implante sur les coteaux grâce aux légions démobilisées ; une décision qui conditionnera l’économie locale pendant seize siècles.
Au XVIIIᵉ siècle, la ville connaît son âge d’or commercial. Les quais en pierre blonde – futur Port de la Lune – s’allongent sur trois kilomètres. Entre 1715 et 1789, le trafic maritime y est multiplié par dix. Cette prospérité se lit encore sur les façades de la Place de la Bourse, chef-d’œuvre de l’architecte Ange-Jacques Gabriel.
D’un côté, les fortunes coloniales financent hôtels particuliers et académies ; de l’autre, elles laissent l’empreinte indélébile d’une histoire négrière que le Mémorial de la Traite, inauguré en 2019, s’efforce aujourd’hui d’expliquer.
Chiffres clés (XVIIIᵉ siècle)
- 40 % du vin français exporté part alors des entrepôts bordelais.
- 180 navires armés pour le commerce triangulaire entre 1730 et 1793.
- 110 000 habitants en 1790, faisant de Bordeaux la deuxième ville du royaume après Paris.
Pourquoi la Révolution a-t-elle bouleversé l’identité bordelaise ?
La Révolution française redessine la carte politique locale. Les Girondins, emmenés par Pierre-Victurnien Vergniaud, défendent une ligne libérale, opposée aux Montagnards parisiens. Leur exécution en octobre 1793 traumatise la cité, qui perd en influence nationale.
Sur le plan économique, le blocus continental de 1806 coupe Bordeaux de ses partenaires britanniques. Les exportations chutent de 70 % en deux ans. Pourtant, la résilience s’organise : les négociants inventent la notion de « cru classé » en 1855, répondant à la demande internationale lors de l’Exposition universelle de Paris.
Comment la ville a-t-elle rebondi ? En diversifiant son activité portuaire (bois d’Amérique du Sud, machines anglaises, sucre des Antilles) et en développant les chemins de fer sous le Second Empire.
Figures marquantes : d’Aliénor d’Aquitaine à Jacques Chaban-Delmas
Aliénor d’Aquitaine (1122-1204)
Épouse tour à tour de Louis VII et d’Henri Plantagenêt, elle rattache Bordeaux à un vaste empire s’étendant de l’Écosse aux Pyrénées. Son mécénat encourage les arts courtois et pose les bases d’un commerce du vin orienté vers l’Angleterre, encore visible dans le mot « claret » utilisé outre-Manche.
Michel de Montaigne (1533-1592)
Maire de Bordeaux de 1581 à 1585, l’humaniste rédige une partie de ses Essais dans la tour de son domaine de Saint-Michel-de-Montaigne. Son slogan « Que sais-je ? » incarne l’esprit critique qui irrigue aujourd’hui les universités bordelaises.
Jacques Chaban-Delmas (1915-2000)
Résistant, président de l’Assemblée nationale puis maire de 1947 à 1995, il modernise la ville : ceinture verte, pont d’Aquitaine et première zone piétonne en 1976. Son mandat long de 48 ans façonne la Bordeaux contemporaine, ouverte mais attachée à ses racines.
Un patrimoine vivant entre pierre blonde et innovations culturelles
Le classement du Port de la Lune au patrimoine mondial en 2007 accélère la réhabilitation du centre. Entre 2008 et 2022, 75 % des façades du XVIIIᵉ siècle ont été ravalées (chiffre mairie de Bordeaux). Ce rajeunissement s’accompagne d’équipements culturels emblématiques :
- La Cité du Vin, inaugurée en 2016, attire 400 000 visiteurs par an.
- Le Musée Mer Marine, ouvert en 2019, souligne la vocation portuaire.
- Les Bassins des Lumières, plus grand centre d’art numérique d’Europe, ont investi l’ancienne base sous-marine en 2020.
Qu’est-ce que le label « Ville d’art et d’histoire » ?
Attribué par le Ministère de la Culture, il distingue les cités valorisant leur héritage tout en planifiant des interventions contemporaines. Bordeaux l’obtient en 2009, reconnaissant la cohabitation réussie entre patrimoine classé et projets de tramway, écoquartiers (Bastide Niel) et friches créatives (Darwin).
Enjeux actuels
- Limiter le tourisme de masse sur le miroir d’eau, inauguré en 2006.
- Préserver la pierre calcaire face à l’érosion atmosphérique.
- Concilier extension du vignoble urbain (15 hectares plantés depuis 2018) et impératifs de biodiversité.
Mon regard : la tension est palpable entre la volonté de protéger l’authenticité et l’appel des start-ups culturelles qui rêvent de lofts dans les anciens chais. L’équilibre reste fragile, mais la dynamique de dialogue citoyen amorcée par Bordeaux Métropole depuis 2022 semble porter ses fruits.
À retenir
- Une continuité viticole depuis l’Antiquité, moteur économique récurrent.
- Des ruptures politiques majeures (Révolution, Girondins, Résistance).
- Un patrimoine classé qui dialogue avec l’innovation artistique.
- Des figures emblématiques ayant projeté Bordeaux à l’international.
En arpentant les ruelles médiévales ou les hangars réinventés, je mesure combien la chronique bordelaise reste en mouvement. Les pierres blondes racontent le passé, les rails du tram tracent l’avenir. Si ces histoires vous intriguent, prenez le temps d’explorer, de questionner et de partager : d’autres dossiers – du Grand Théâtre aux secrets de la Grosse Cloche – n’attendent que votre curiosité.
