Bordeaux, des romains à demain, une cité en mutation permanente

par | Oct 10, 2025 | Tourisme

Histoire de Bordeaux : en 2023, plus de 6,2 millions de visiteurs ont arpenté les quais de la Garonne, soit +8 % par rapport à 2022. Ce chiffre impressionne, mais il s’explique : la capitale de la Nouvelle-Aquitaine cultive un passé plurimillénaire, fait de conquêtes romaines, d’échanges maritimes et de révolutions urbaines. Tour d’horizon documenté – mais accessible – d’une cité qui ne cesse de se réinventer.

Des racines romaines aux fastes du XVIIIe siècle

La première mention officielle de Burdigala remonte à 56 av. J.-C., lorsque Jules César annexe l’Aquitaine. À l’époque, le castrum romain s’organise autour du cardo et du decumanus, tracés encore perceptibles rue Sainte-Catherine (aujourd’hui plus grande rue commerçante piétonne d’Europe).
• 3e siècle : construction du Palais Gallien, unique amphithéâtre romain subsistant dans la ville. Capacité : environ 15 000 spectateurs.
• 12e siècle : mariage décisif d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt, futur roi d’Angleterre. Bordeaux passe sous influence anglaise pour trois siècles ; le commerce du vin explose.

Le véritable tournant intervient pourtant au XVIIIe siècle. Les Intendants Boucher puis Louis-Urbain de Tourny transforment le vieux port médiéval en véritable salon à ciel ouvert. Quais élargis, façades néoclassiques, alignement des hôtels particuliers : le fameux « Port de la Lune » se dessine. En 1770, la ville compte déjà 100 000 habitants, soit près du double d’un siècle plus tôt.

D’un côté, cette prospérité repose sur le négoce du vin, du sel et du sucre.
Mais de l’autre, elle s’appuie aussi sur la traite négrière ; 500 expéditions bordelaises sont recensées entre 1672 et 1837. Un pan sombre, longtemps occulté, que les historiens locaux (notamment l’équipe du Musée d’Aquitaine) mettent désormais en lumière.

Pourquoi le commerce du vin a-t-il façonné la ville ?

Question centrale pour tout passionné d’œnologie et de patrimoine. Bordeaux bénéficie d’un double atout : un terroir propice depuis l’époque gallo-romaine et un fleuve navigable ouvrant sur l’Atlantique. Sous domination anglaise, le vin bordelais – le « claret » – devient boisson de cour à Londres. En 1308, déjà, 1 million de tonneaux transitent chaque année par la Garonne.

Au XVIIIe siècle, la fiscalité souple de la monarchie éclaire encore le succès : seules 2 % de taxes sur le vin exporté (contre 5 % à La Rochelle). Résultat :

  • 1789 : 75 % du tonnage maritime bordelais concerne le vin.
  • 1855 : création du célèbre classement des crus pour l’Exposition universelle de Paris, consolidant la notoriété mondiale des Graves, Médoc et Sauternes.

De mon point de vue de journaliste – et dégustatrice assumée – ce modèle viticole explique la physionomie urbaine : chais monumentaux à Bacalan, demeures négociantes à Chartrons, allées de Tourny dédiées aux transactions. Marcher le long des quais, c’est lire dans la pierre les fluctuations du marché.

Qu’est-ce que le Port de la Lune ?

Le terme désigne la courbe quasi parfaite que dessine la Garonne autour de la vieille ville, évoquant un croissant lunaire. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007 (l’un des plus vastes périmètres classés au monde : 1 810 hectares), il concentre 347 monuments historiques. Aujourd’hui, les paquebots de la saison 2024 amarrent au même quai Louis-XV où s’exportaient les barriques deux siècles plus tôt.

Personnages emblématiques : Aliénor, Montaigne, Tourny

  • Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) : mécène, diplomate, reine de France puis d’Angleterre. Son alliance politico-commerciale jette les bases du soft power bordelais.
  • Michel de Montaigne (1533-1592) : maire de Bordeaux de 1581 à 1585. Il rédige une partie de ses Essais dans la « librairie » de son château, mais c’est à l’Hôtel de Ville qu’il impose sa devise : « Que sais-je ? ».
  • Louis-Urbain de Tourny (1695-1760) : intendant visionnaire. Il fait percer les cours, plante 6 000 ormes, pave les places. Sans lui, pas de Grand-Théâtre, inauguré en 1780 et dessiné par Victor Louis.

J’ajouterais volontiers François Mauriac – prix Nobel de littérature 1952 – dont la maison de Malagar incarne ce dialogue constant entre vigne et plume.

Patrimoine vivant : quand les pierres racontent l’avenir

En 2024, Bordeaux consacre 42 millions d’euros à la restauration de la basilique Saint-Michel et de la Porte Cailhau. Objectif : préserver la mémoire, mais aussi attirer les 25 % de touristes qui, selon l’Office de tourisme, se déplacent d’abord pour l’architecture (devant même la gastronomie).
Les projets contemporains s’inscrivent dans cette dynamique : la Cité du Vin (ouverte en 2016) a dépassé les 2 millions de visiteurs cumulés en juillet 2023 ; l’ancienne base sous-marine allemande est devenue Base sous-marine de Bordeaux, temple de l’art numérique.

Liste non exhaustive de sites à (re)découvrir :

  • Cathédrale Saint-André, chef-d’œuvre gothique flamboyant.
  • Miroir d’Eau, plus grand plan réfléchissant du monde (3 450 m²).
  • Darwin Éco-système, friche militaire métamorphosée en laboratoire d’urbanisme durable.

Petite anecdote personnelle : lors de l’édition 2022 de Bordeaux Fête le Vin, j’ai observé un groupe de touristes japonais photographier sans relâche la Place de la Bourse au crépuscule. Quand l’illumination de 22 h a démarré, un « waouh » collectif a résonné ; preuve que le patrimoine bordelais surprend même les voyageurs habitués aux mégalopoles lumineuses.

Entre mémoires douloureuses et fierté patrimoniale

La ville assume désormais ses paradoxes. Le Musée national de l’esclavage annoncé pour 2026 côtoiera les boutiques de luxe du Cours de l’Intendance. Les graffs contestataires de Darwin voisinent les hôtels cinq étoiles de la rive gauche. Cette cohabitation, parfois électrique, reflète un récit urbain en perpétuelle réécriture.

Et demain ?

Le programme Bordeaux 2050 mise sur le tramway cadencé à 3 minutes et 40 % d’espaces verts supplémentaires. Si l’on se fie aux études de l’INSEE, la métropole pourrait franchir le cap du million d’habitants en 2040. Reste à concilier croissance, sobriété énergétique et sauvegarde d’un centre ancien fragile – sujet que j’explore aussi dans mes enquêtes sur l’urbanisme durable ou la gastronomie responsable.


La prochaine fois que vous longerez la Garonne, écoutez le clapotis : il résonne des voix d’Aliénor, de Montaigne et des dockers du XIXe siècle. Cette vibration, je la ressens à chaque reportage. Si, vous aussi, vous souhaitez plonger plus loin dans les secrets bordelais – qu’ils touchent au vin, à l’art ou à l’innovation – n’hésitez pas à poursuivre le voyage ; la ville n’a pas livré son dernier chapitre.