Bordeaux dévoile huit siècles d’histoire, entre pierres, vins et mémoire

par | Juil 13, 2025 | Tourisme

Histoire de Bordeaux : la capitale girondine a accueilli 6,1 millions de visiteurs en 2023, soit +8 % en un an. Pourtant, 80 % de ces touristes ignorent que la ville compte plus de 350 monuments protégés, un record national rapporté par le ministère de la Culture. Ces chiffres illustrent la force d’attraction d’une cité dont le passé se lit dans chaque pierre. Plongeons dans ce récit stratifié, entre faits établis et confidences de terrain.

Bordeaux, un carrefour commercial dès le Moyen Âge

La Garonne est le premier acteur de la réussite bordelaise. Dès 1154, lorsque la duchesse Aliénor d’Aquitaine épouse Henri Plantagenêt, l’estuaire est rangé sous bannière anglaise. Le vin part vers Londres ; le privilège dure trois siècles. En 1453, la victoire française de Castillon sonne la fin de la domination anglaise, mais le commerce est déjà ancré.

Entre le XIIIᵉ et le XVᵉ siècle :

  • 60 % des exportations bordelaises concernent le « clairet » (ancêtre du claret moderne).
  • Les quais s’allongent de 800 m pour charger jusqu’à 200 navires par an.
  • Le port génère près de 30 % des recettes douanières du royaume (archives royales, 1439).

Mon expérience d’enquête m’a montré combien les vestiges médiévaux, souvent cachés derrière des façades XVIIIᵉ, impressionnent les visiteurs curieux. La tour Payanne ou l’église Saint-Pierre restent des marqueurs intacts de cette première prospérité.

Pourquoi l’esclavage a-t-il façonné la prospérité bordelaise ?

Qu’est-ce que le « commerce triangulaire » bordelais ?
Entre 1672 et 1837, 508 expéditions négrières partent de Bordeaux, selon le Slave Voyages Database. Le port devient alors le second de France derrière Nantes. Sucre, indigo et cacao arrivent de Saint-Domingue, enrichissant les négociants de la Place de la Bourse.

D’un côté, ces échanges dopent la croissance urbaine :

  • La superficie intra-muros triple entre 1720 et 1790.
  • Les Intendants Boucher et Tourny aménagent les Allées de Tourny dès 1743, financées par les fortunes coloniales.

Mais de l’autre, la mémoire de l’esclavage pèse lourd. Depuis 2019, la mairie appose des plaques rappelant l’origine de certaines fortunes. J’ai assisté à une de ces inaugurations ; le silence recueilli d’anciens riverains prouve qu’un travail de vérité est toujours en cours.

De Victor Louis à la MÉCA, un patrimoine architectural en mutation

L’architecte Victor Louis érige le Grand Théâtre en 1780. Ses 12 colonnes corinthiennes deviennent l’icône de la ville. Deux siècles plus tard, la MÉCA (Maison de l’Économie Créative et de la Culture en Aquitaine), inaugurée en 2019, signe la modernité. La passerelle monumentale dessinée par BIG culmine à 37 m ; elle surplombe la Garonne comme un phare d’art contemporain.

Chiffre clé : en 2024, l’Office de tourisme recense 28 % d’augmentation de fréquentation au quartier Saint-Jean grâce à cette polarité culturelle.

Continuité et ruptures

  • La pierre blonde de Frontenac domine encore 75 % des façades classées.
  • Mais le verre sérigraphié de la Cité du Vin (2016) traduit l’ouverture vers le futur.

Cette juxtaposition m’évoque la respiration d’une ville qui refuse l’immobilisme. Je me souviens d’une visite nocturne des chantiers du tramway en 2005 : les archéologues stoppaient les pelleteuses dès qu’un galet gallo-romain affleurait. La modernité n’efface jamais totalement le passé.

Quels personnages ont marqué l’histoire de Bordeaux ?

Bordeaux n’est pas qu’un décor, c’est une galerie de destins. Tour d’horizon rapide :

  • Michel de Montaigne (1533-1592) : maire de 1581 à 1585, il tient ses fameux « Essais » dans la tour de son domaine voisin de Saint-Michel-de-Montaigne.
  • François-Didier Lapierre (1726-1802) : armateur et philanthrope, il crée la première école gratuite pour marins en 1781.
  • Jean Jaurès prononce en 1895 un discours préfigurant la loi de séparation des Églises et de l’État sur la place du Chapelet.
  • Plus près de nous, le maire Alain Juppé (1995-2019) pilote la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO, obtenue en 2007 pour 1 810 ha de secteur sauvegardé.

Leurs actions traversent encore les rues : les plaques commémoratives se lisent comme un manuel d’éducation civique à ciel ouvert.

Focus : Montaigne, un maire philosophe

Pourquoi l’élection de Montaigne fut-elle exceptionnelle ? Parce qu’en pleine peste de 1585, il instaure un cordon sanitaire fluvial, limitant la propagation vers l’arrière-pays. Les registres paroissiaux montrent une mortalité divisée par deux par rapport à Toulouse. Un management de crise avant l’heure.

Patrimoine viticole : un atout économique et identitaire

On ne peut traiter l’histoire de Bordeaux sans évoquer le vin. L’INAO dénombre 65 appellations dans la seule Gironde. Les « Grands Crus Classés » de 1855 restent la colonne vertébrale de la notoriété mondiale. Chaque année, 5 millions de bouteilles quittent le port pour l’Asie (Douanes, 2023).

Pourtant, la vigne a failli disparaître. La crise du phylloxéra (1875-1892) ravage 90 % du vignoble. Les cépages américains greffés sauvent la filière. Aujourd’hui, la filière emploie 55 000 personnes en Nouvelle-Aquitaine, soit 7 % de l’emploi régional.

J’ai interrogé récemment un jeune vigneron de Pessac-Léognan : il expérimente des cépages résistants au réchauffement climatique (marselan, vidoc). Preuve que la tradition sait innover.


La chronique bordelaise reste un palimpseste où se superposent commerce médiéval, drame esclavagiste, siècle des Lumières et bouillonnement créatif. J’espère que ces repères factuels et ces éclats d’expérience vous inciteront à lever les yeux lors de votre prochaine balade le long du Port de la Lune. La ville révèle toujours un détail inédit à qui sait observer… et questionner.