Histoire de Bordeaux : derrière les façades blondes qui attirent 6,5 millions de visiteurs en 2023 (Office de tourisme), se cache un passé dense, parfois tumultueux, toujours stratégique. La ville, première métropole française inscrite dans son ensemble au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2007, incarne un laboratoire d’influences, entre commerce, culture et architectes visionnaires. À travers dates clés, personnages influents et bâtisses emblématiques, découvrons pourquoi le récit bordelais fascine encore les chercheurs et les flâneurs.
De la cité portuaire romaine à la puissance médiévale
Burdigala naît vers 56 av. J.-C. quand les Romains installent un port sur la Garonne. Des vestiges comme le palais Gallien (amphithéâtre de 22 000 places) rappellent l’essor antique. Après les invasions wisigothes et franques, le VIIIᵉ siècle voit émerger un comté autonome qui consolide les premières grandes foires régionales.
En 1152, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt rattache Bordeaux à la couronne anglaise. La ville profite alors du « privilege of the wine », monopole d’exportation vers Londres. Résultat : entre 1308 et 1325, les registres portuaires attestent d’une multiplication par trois des tonneaux expédiés.
La Guerre de Cent Ans interrompt cette prospérité. En 1453, la bataille de Castillon scelle le retour définitif à la couronne française. Pourtant, les notables bordelais conservent leur esprit mercantile, annonçant la future gloire des XVIIᵉ-XVIIIᵉ siècles.
Comment le commerce du vin a façonné l’histoire de Bordeaux ?
Le vignoble, déjà mentionné par Ausone au IVᵉ siècle, devient l’ADN économique de la capitale girondine.
Les facteurs clés de succès
- Terroir graveleux drainant naturellement la vigne.
- Influence de la Garonne : climat tempéré et voies fluviales.
- Proximité de l’Atlantique pour l’exportation.
- Savoir-faire des négociants (les « courtiers », équivalent médiéval des traders).
En 1789, on compte 1 800 tonneaux exportés par an ; ils atteignent 5 600 tonneaux en 1850 grâce au rail.
D’un côté, cette prospérité crée des fortunes spectaculaires et finance le Grand Théâtre de Victor Louis (inauguré en 1780). Mais de l’autre, elle alimente la spéculation et, jusqu’à l’abolition de 1848, un commerce triangulaire dont Bordeaux fut le deuxième port négrier français. Cette dualité reste visible dans les hôtels particuliers de la rue Fondaudège comme dans les archives de la Chambre de commerce.
Réponse directe : Pourquoi parle-t-on de « claret » à Londres ?
« Claret » désigne depuis le Moyen Âge les vins rouges légers expédiés de Bordeaux vers l’Angleterre. Le terme provient du français « clairet » ; il s’installe dans la langue anglaise au XIIIᵉ siècle. Cette appellation persiste, car les négociants bordelais, protégés par des taxes réduites, dominaient alors 80 % du marché londonien.
Les figures clés qui ont marqué la capitale girondine
Michel de Montaigne (1533-1592)
Syndic des jurats, maire en 1581, l’auteur des « Essais » installe son humanisme dans la vie publique. Il milite pour la tolérance religieuse, essentiel durant les guerres de Religion.
Montesquieu (1689-1755)
Issu du château de La Brède, il observe les négociants du port pour élaborer « De l’esprit des lois ». Son analyse des pouvoirs, nourrie par le dynamisme bordelais, inspire toujours nos institutions (Assemblée nationale, Conseil constitutionnel).
Jacques Chaban-Delmas (1915-2000)
Résistant, Premier ministre, puis maire pendant 47 ans, il modernise la ville : pont d’Aquitaine en 1967, rocade en 1993. Selon l’INSEE, la population passe ainsi de 215 000 habitants en 1954 à 238 000 en 1990, malgré l’exode périurbain.
Un patrimoine architectural reconnu par l’UNESCO
Le Port de la Lune, courbe quasi parfaite sur la Garonne, symbolise l’urbanisme des Lumières. Entre 1730 et 1800, l’intendant Tourny restructure les quais, fait planter 3 000 ormes et édifie les façades néoclassiques. En 2007, l’UNESCO inscrit 1 810 hectares, soit 40 % de la commune : un record européen.
L’héritage pierre pour pierre
- Place de la Bourse et miroir d’eau (œuvre de Michel Corajoud, 2006).
- Basilique Saint-Michel, flèche de 114 m visible depuis Belcier.
- Cité du Vin, totem contemporain accueillant 438 000 visiteurs en 2023.
Pourquoi cette reconnaissance ? L’UNESCO salue l’harmonie entre urbanisme classique et innovations, comme le tramway sur plateforme engazonnée, mis en service en 2003.
Nuance et perspectives
D’un côté, la rénovation a valorisé le bâti ; les prix de l’immobilier ont bondi de 62 % entre 2010 et 2022 (chiffres Notaires de France). Mais de l’autre, la gentrification éloigne certains habitants historiques vers la métropole périphérique (Mérignac, Pessac). Le débat sur l’équilibre social du centre-ville reste ouvert.
Je parcours ces rues depuis vingt ans et, à chaque détour, une pierre raconte une anecdote inédite : le mascaron rieur quai Richelieu, l’ancienne glacière du cours Victor-Hugo, ou la ligne où coulait l’enceinte médiévale place Gambetta. Si, vous aussi, vous souhaitez prolonger ce voyage dans le patrimoine bordelais, restez curieux ; la moindre cour d’immeuble peut dévoiler une nouvelle page d’histoire.
