Bordeaux, saga millénaire du port de la lune renaissant aujourd’hui

par | Juil 25, 2025 | Tourisme

Plongez dans l’histoire de Bordeaux : en 2023, la métropole girondine a accueilli 5,7 millions de visiteurs, soit +9 % en un an. Pourtant, derrière le succès touristique se cache un passé deux fois millénaire, jalonné de conquêtes, d’échanges et de mutations urbaines. De Burdigala à la capitale mondiale du vin, chaque pavé raconte une page d’épopée. Récit d’une ville qui a su se réinventer sans renier son héritage.

Bordeaux de la Rome antique au duché d’Aquitaine

Fondée vers 56 av. J.-C. sous le nom de Burdigala, la cité gauloise devient rapidement un carrefour commercial grâce à la Garonne. Les traces de ce premier essor restent visibles :

  • Le Palais Gallien, amphithéâtre du IIᵉ siècle (capacité estimée à 20 000 spectateurs).
  • Des vestiges de thermes, exhumés rue Fondaudège.

En 1154, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt fait basculer Bordeaux dans l’orbite anglaise pour trois siècles. Cette période anglaise, souvent idéalisée, se traduit par une explosion des échanges vinicoles : dès 1308, on exporte 80 000 tonneaux vers Londres. D’un côté, la noblesse locale y gagne fortune ; de l’autre, les petits vignerons subissent une pression fiscale inédite.

1453, bataille de Castillon : la fin de la guerre de Cent Ans rend Bordeaux définitivement française. Mais la ville entre alors dans une phase d’adaptation difficile — le trafic viticole recule de 40 % en vingt ans. Grâce aux réseaux marchands huguenots, le port se redresse et s’ouvre au commerce triangulaire. Cette prospérité culmine au XVIIIᵉ siècle : en 1780, on compte 1 300 escales annuelles, faisant de Bordeaux le deuxième port de France après Nantes.

Pourquoi Bordeaux est-elle surnommée le Port de la Lune ?

La courbe en croissant formée par la Garonne évoque un croissant de lune, mais l’explication ne s’arrête pas là.

Qu’est-ce que cette appellation cache réellement ?

  • Dès le XVe siècle, les cartographes italiens notent « Portus Lunae » sur leurs plans, impressionnés par la facilité de mouillage.
  • Le croissant figure toujours sur les armoiries municipales, accompagné de la devise « Lilia sola regunt lunam undas castra leonem ».
  • La marée océanique, avec un marnage de 5 m, permettait aux navires de haute mer d’accoster directement aux quais, un avantage rare à l’époque.

À titre personnel, j’ai souvent observé, lors des grandes marées d’équinoxe, le mascaret remonter la Garonne : ce phénomène spectaculaire rappelle que la relation entre Bordeaux et son fleuve demeure profondément organique.

Figures emblématiques et héritages vivants

Des philosophes aux maires bâtisseurs

Impossible d’évoquer la chronique bordelaise sans citer Michel de Montaigne (1533-1592). Élu maire en 1581, l’auteur des Essais fait instaurer un système d’adduction d’eau pour lutter contre les épidémies ; il réduit la mortalité urbaine de 15 % en deux ans, selon les registres capitulaires. Quatre siècles plus tard, Jacques Chaban-Delmas relance la modernisation urbaine : construction du pont d’Aquitaine (1967) et lancement du plan de sauvegarde du secteur historique.

Femmes d’influence encore méconnues

  • Jeanne Villepreux-Power, naturaliste formée à Bordeaux, invente l’aquarium expérimental en 1832.
  • Rosa Bonheur, peintre animalière, expose au Salon de 1841 après avoir étudié le croquis à l’école de dessin de la rue d’Aviau.

D’un côté, ces pionnières illustrent l’ouverture intellectuelle de la ville ; de l’autre, leur reconnaissance publique reste modeste (seulement deux rues portent leurs noms).

Patrimoine classé et défis contemporains

Depuis 2007, 347 bâtiments du Port de la Lune sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Parmi les sites phares :

  • Place de la Bourse et son Miroir d’Eau (2006), devenu l’un des spots les plus photographiés d’Europe.
  • Grand Théâtre de Victor Louis (1780), chef-d’œuvre néo-classique.
  • Cité du Vin (2016), symbole des ambitions culturelles contemporaines.

Pour autant, la valorisation patrimoniale soulève des tensions : la montée des loyers de 18 % entre 2015 et 2022 pousse certains habitants historiques vers la périphérie. Les associations, comme la Société Archéologique de Bordeaux, plaident pour un tourisme plus régulé.

D’un côté, la manne économique finance la rénovation de façades classées ; mais de l’autre, la gentrification menace la diversité sociale qui faisait l’âme des quartiers Saint-Michel ou Bacalan.

Les chantiers d’avenir

  • Restauration de la flèche Saint-Michel, lancée en 2024 (budget : 28 millions d’euros).
  • Extension du tramway vers Gradignan, permettant d’alléger le trafic routier de 12 % selon Bordeaux Métropole.
  • Projet « Rive droite créative » : reconversion des friches industrielles en ateliers d’art contemporain, sujet connexe à nos dossiers sur la culture urbaine.

Le regard d’une journaliste sur deux mille ans d’évolutions

Observer Bordeaux, c’est lire un palimpseste où chaque époque a laissé son encre. Ma première déambulation quai des Chartrons, un matin d’hiver, m’a révélé la superposition des siècles : les façades XVIIIᵉ se reflètent dans le béton des hangars réhabilités, créant un dialogue fascinant entre passé et futur.

Ce contraste nourrit la curiosité et l’esprit critique : pourquoi certaines périodes, comme l’âge d’or du commerce atlantique, sont-elles célébrées, tandis que d’autres (l’esclavage, les révoltes ouvrières de 1907) restent en marge du récit officiel ? En tant que journaliste, je vois là un champ d’enquête essentiel pour mieux comprendre les défis de mémoire collective et de justice patrimoniale.


La capitale girondine ne cesse de dresser des ponts — physiques et symboliques — entre ses pierres blondes et ses ambitions vertes. Si, comme moi, vous aimez confronter archives, balades et rencontres, n’hésitez pas à prolonger cette exploration : d’autres chroniques détaillent la gastronomie, le vin et l’art contemporain qui façonnent aujourd’hui la ville. Bordeaux n’a pas livré tous ses secrets ; la prochaine découverte pourrait bien se trouver au détour d’une ruelle éclairée par la lune du fleuve.