Histoire de Bordeaux : en 2023, la métropole girondine a accueilli plus de 6,6 millions de visiteurs, soit +11 % par rapport à 2022. Pourtant, derrière ce succès touristique, se cache une chronologie complexe mariant empire romain, commerce triangulaire et renouveau urbain. Quelques dates clés suffisent à comprendre pourquoi Bordeaux, parfois qualifiée de « petite Rome » au XVIIIᵉ siècle, incarne aujourd’hui un laboratoire d’histoire vivante. Préparez-vous à un voyage rigoureux, charpenté, où les pierres parlent et les chiffres rassurent.
Du port gallo-romain à la cité médiévale
Les racines antiques
Burdigala naît vers –56 avant J.-C. lorsqu’un oppidum biturige est annexé par Jules César. Implantée sur la rive gauche de la Garonne, la ville devient rapidement un carrefour commercial de premier plan. Au IIIᵉ siècle, la cité compte déjà près de 20 000 habitants ; les vestiges du Palais Gallien en portent encore témoignage.
L’essor du Moyen Âge
• 1152 : mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt. L’union fait basculer la ville dans l’orbite anglaise.
• 1206 : création du jurat, ancêtre du conseil municipal, garantissant une autonomie locale rare pour l’époque.
• 1453 : bataille de Castillon, fin de la guerre de Cent Ans et retour à la couronne française.
Ces jalons façonnent un « esprit d’indépendance » cher aux Bordelais. J’y vois toujours, lors de mes déambulations quai Richelieu, cette fierté médiévale transparaître dans la toponymie et les récits populaires.
Pourquoi la traite négrière a-t-elle marqué l’histoire de Bordeaux ?
La question revient souvent lors des visites guidées. Entre 1672 et 1837, plus de 500 expéditions négrières sont armées depuis le Port de la Lune. Au pic de 1789, Bordeaux contrôle 41 % du trafic français selon l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau. Ce commerce génère une manne estimée à 200 millions de livres tournois, réinvestie dans l’urbanisme classique (façades blondes, alignements haussmanniens avant l’heure).
D’un côté, ces fortunes ont permis la construction du Grand Théâtre (1770-1780, architecte Victor Louis). Mais de l’autre, elles reposent sur une violence systématique occultée jusqu’aux années 2000. En 2022, la municipalité a installé plusieurs plaques mémorielles quai des Chartrons, signe d’un travail de reconnaissance tardif mais nécessaire.
Qu’est-ce que le Port de la Lune ?
Le surnom désigne le méandre en forme de croissant que forme la Garonne autour de la ville. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007, le port fut longtemps le pivot logistique des cargaisons sucrières, cacaoyères et vinicoles.
Le XIXᵉ siècle, âge d’or viticole et urbain
Les barons du vin et l’effet phylloxéra
• 1855 : classement impérial des crus du Médoc lors de l’Exposition universelle.
• 1864 : premier grenier à grains du Quai de Paludate, symbole d’une agro-économie florissante.
• 1875-1892 : crise du phylloxéra. Plus de 200 000 hectares de vignes girondines sont détruits. Les greffons américains sauveront in extremis les cépages, le merlot en tête.
En reportage dans le vignoble de Pessac-Léognan, j’ai constaté à quel point cette cicatrice du XIXᵉ siècle reste vive dans la mémoire des châteaux. Les propriétaires évoquent encore les greffes comme une « seconde naissance ».
Modernisation urbaine
Sous la houlette de Jacques Chaban-Delmas (maire de 1947 à 1995), la ville se dote du pont d’Aquitaine (1967) puis du quartier Mériadeck (années 1970). Ces édifices brutalistes contrastent avec les façades néoclassiques, illustrant la dialectique bordelaise : conserver le patrimoine tout en l’adaptant aux flux contemporains.
Un patrimoine vivant entre modernité et mémoire
L’inscription UNESCO et ses conséquences
Depuis 2007, 1810 hectares du centre-ville bénéficient d’une protection accrue. Selon la mairie, 82 % des ravalements de façades ont été cofinancés par le programme « Opération Grand Site ». Résultat : le parcours des Quinconces à Saint-Michel offre aujourd’hui une continuité architecturale quasi unique en Europe.
Pourtant, cette embellie soulève des tensions. Les loyers ont bondi de 34 % entre 2015 et 2023 (source INSEE), alimentant le débat sur la gentrification. Certains riverains dénoncent un « musée à ciel ouvert » au détriment de la mixité sociale.
Atouts culturels clés
- Cité du Vin (2016) : 450 000 visiteurs par an.
- Musée d’Aquitaine : 70 000 pièces, dont le fameux trésor de Cayac.
- Base sous-marine reconvertie en lieu d’art numérique (Les Bassins des Lumières) depuis 2020.
Ces pôles créatifs renforcent la dimension polymorphe de Bordeaux : ville d’histoire, certes, mais aussi d’innovation.
D’un terroir à l’autre
D’un côté, le patrimoine bordelais se nourrit des vignobles alentour ; de l’autre, il irrigue les quartiers via festivals, marchés bio et tiers-lieux. La Route des Châteaux du Médoc dialogue ainsi avec Darwin Écosystème, creuset d’entreprises vertes installées dans d’anciens entrepôts militaires.
Repères chronologiques essentiels
- –56 : fondation de Burdigala.
- 1152 : union Aliénor-Plantagenêt.
- 1453 : Castillon, fin de la présence anglaise.
- 1672-1837 : commerce triangulaire.
- 1855 : classement officiel des crus.
- 1875-1892 : crise du phylloxéra.
- 1940 : Bordeaux, capitale provisoire de la France libre pendant dix jours.
- 2007 : inscription UNESCO.
- 2023 : 6,6 millions de touristes.
Naviguer dans l’histoire de Bordeaux, c’est appréhender un palimpseste où chaque époque laisse une trace lisible : de la basilique Saint-Seurin aux façades XVIIIᵉ des quais jusqu’aux rails ultramodernes du tramway. Lorsque je contemple le miroir d’eau reflétant la Place de la Bourse à l’aube, je mesure l’importance de transmettre ces récits. Si cette exploration vous a éclairé, laissez-vous tenter par d’autres plongées dans les ruelles du Vieux Bordeaux ou les secrets des bastides environnantes ; l’aventure patrimoniale ne fait que commencer.
